Pendant que je reprends pour la millième fois une des mes expressions
franchement québécoises et que je tente de la traduire à la française pour me
faire comprendre, tu cognes à la porte. Ça fait deux jours que je côtoie ces
lieux, si étranges, si inconnus pour moi. C’est froid, c’est un peu inquiétant
et ça sent le désespoir… ça sent la solitude. Ce milieu serait 10 fois plus
aseptisé au Québec, ça c’est certain, 10 fois plus organisé, mais il y a dans
le fonctionnement une sorte de liberté… qui tient entre des clôtures. Une
prairie de fausses libertés psychiatriques clôturées.
Mais bon tu cognes à la porte et sans attendre la réponse, tu entres.
T’es pas très grand et tes cheveux noirs font de tes yeux bleus, deux grand
phares qui éclairent une mer où aucun bateaux naviguent… C’est la première fois
que je vois ce genre de regard, je me surprends à dire qu’assurément dans
certains films, et honteuse je chasse cette idée de ma tête… Le silence se fait
dans la salle, une quinzaine d’infirmières tournent la tête et te regardent,
prêtent à agir. Ton visage est d’une beauté, d’une clarté, d’un blanc presque
parfait que vient illuminer de manière arrogante tes joues roses.
J’ai de la difficulté à te donner un âge. Je dirais que tu as 16 ans,
mais c’est impossible, ici il n’y a que des adultes. Donc, tu as au moins 18
ans. 18 ans de nervosité et de curiosité qui se glisse de notre côté de la
porte en tentant de ne pas faire de bruit comme si tu étais subtile. Tu agis
comme si personne ne te regardait, tel un ninja. Ça me fait sourire… je suis
heureuse que tu casses la monotonie de ma formation…
Instinctivement, je te laisse entrer sans me poser trop de question. Je
me rends alors compte que cette seconde nature développée dans mon travail à
Montréal, n’est pas présente chez tout le monde. Pendant que je continue à
t’observer et à apprécier ta présence dans cet espace, les personnes sur
place t’ont déjà dit que cette formation n’était pas pour toi, qu’elle
concernait que les gens qui travaillaient ici et que tu devais sortir. Je
comprends, je les laisse te dire de partir… J’ai deux emplois tellement
différents…
Tu as franchi cette porte deux fois depuis que j’y suis.. À chaque fois, même scénario, on te met gentiment à la porte et je continue ma formation. Tu
quittes la pièce, mais pas ma tête. Chaque exemple que je donne, je t’imagine
en crise te faire contrôler au sol ou te faire parler de manière infantilisante
selon les principes que je donne dans cette formation… Je te vois te
désorganiser et te faire enrouler dans une couverture pour te mettre en
isolement. Je t’imagine te faire réprimander parce que tu cries et que ça
désorganise les autres résidants…
T’es ici pour une raison, je ne sais pas laquelle, mais ton joli visage
d’ange à besoin d’aide pour gérer sa tête… Ta tête, c’est un lieu inconnu pour
moi, comme cet endroit… cet hôpital psychiatrique. T’as 18 ans environ. À vue
d’œil, tu fais parti de la « norme ». À vue d’œil, tu bois des
bières sur le bord d’un canal avec tes amis et tu tentes probablement
d’embrasser des filles quand t’es un peu trop saoul… Elles se laisseraient
faire tu sais, t’as une foutu belle gueule. Ta réalité est autre. Tu te
promènes dans un espace semi-champêtre entre des clôturent qui balisent tes
marches au grand air. T’as peut-être des amis, mais nous on ne les voit pas.
T’as peut-être envie d’embrasser des filles, mais ici les filles elles ont
d’autres trucs à gérer…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire