Je vous répondrai par la mine de mon crayon.

Il y a plusieurs façon de crier, ma préférée c'est le silence.

mardi 21 janvier 2014

Reconnaissante

Depuis quelques semaines, j’ai une petite fixation sur le concept et le sentiment de reconnaissance. Être reconnaissante… Tout cela était un peu accessoire jusqu’à ce que je te rencontre. Il existe en inuktitut un mot bien joli pour exprimer cette émotion, Nakurmiik. Au-delà du merci traditionnel, il englobe un bien plus grand concept celui d’être reconnaissant. On dirait que merci dans notre langue devient tout banal quand on lit la définition du même mot dans une autre langue et pourtant.

Par les froids qui courent les rues de Montréal, j’ai aux mains de biens précieuses mitaines. Elles le sont pour plusieurs raisons, entre autre, elles sont chaudes, mais en plus elles m’ont été offertes par ma grand-maman. OH ! Elle m’a offert un cadeau à chaque année depuis ma naissance, mais celui-là est de mémoire le dernier qu’elle m’est offerte consciemment… En fait, ce que les nerfs et la mémoire de ma grand-maman, ben ils prennent un à un des vacances pour ne jamais revenir. C’est la plus souriante des tremblotantes de grand-maman ex-yogi. Mais ça reste que de simples mitaines quand on y pense bien.

Il est donc évident pour moi que ces deux petits bouts de cuir sont ceux les plus adéquats pour aller travailler par temps de grand froid. Je ne pouvais pas me douter qu’ils allaient être à la base d’un échange des plus humains que j’ai connu. Un moment où la petite fille est ressortie en moi en un seul coup et où une personne remplie de générosité et de compréhension m’a réellement fait ressentir ce que c’était d’être reconnaissante.

J’ai l’habitude d’enlever mes mitaines en me promenant, je les tiens nonchalament dans une main, mais aujourd’hui il fait froid, très froid et je balance innocemment un objet bien précieux pour plusieurs personnes. C'est tout autant vrai pour toi qui me les enlève de la main pour les glisser au tiennes en disant un rapide et gêné "merci" en te retirant un peu plus loin. En quelques secondes, mes mitaines ont quitté mes doigts pour terminer à recouvrir les tiens. Moi, d’habitude très calme, je panique et j’en ai automatiquement honte, mais c’est plus fort que moi. J’accours vers toi sans aucune colère, mais visiblement troublée. J’essaie de mille façons de te faire comprendre que ces objets qui ont l’air si banals, représentent beaucoup pour moi et me permettent de faire mon travail… Je me sens ridicule, égoïste, enfantine, mais c’est plus fort que moi… Et je sens qu’on reparlera de cette fois où j’ai refusé de donner mes mitaines à une personne en situation d’itinérance… Je vois les scénarios, tout en tentant de te convaincre.

Je suis maintenant très près de toi et je ne sais pas comment on en est arrivé là, parce que tout va très vite, mais on se sert dans nos bras et à quelques pouces de ton visage, je prends une respiration. Je t’explique plus calmement que ça vient de ma grand-maman et que j’y tiens beaucoup. Je n’ai pas calculé le poids de ces mots. Je sous-estime le fait de mentionner que c’est un cadeau de ma grand-mère. J’ai oublié dans les minutes précédentes que l’honnêteté ça fait son travail.

Je travaille pour me rapprocher et appliquer au quotidien, dans mon travail, mais jusque dans ma vie l’égalité des intelligences et des cultures. Parfois, j’en oublie celle du cœur, celle de deux humains qui vivent et qui se reconnaissent dans une émotion. La femme m’a entendue. Elle m’a entendue dire que c’était précieux, que je me sentais horrible de lui redemander, que c’était un cadeau de ma grand-mère et que je ne pouvais pas lui laisser. Elle aurait pu les garder, je ne les lui aurais pas retirées de force des mains, mais j’aurais eu du chagrin puis ça serait partie avec le temps… pis elle, elle aurait eu froid... encore. En fait, je vais honnêtement et honteusement vous dire avouer qu’elle a encore froid, parce qu’elle m’a redonné mes mitaines… en me souriant en plus. Un grand sourire, un vrai. Un genre de sourire fier que ta grand-mère te fait quand tu lui dis que tu as gagné un prix à l’école… Tendre et fier sourire.

La mâchoire inférieure met automatiquement tombée de stupéfaction et de… reconnaissance… j’étais indéniablement et complètement reconnaissante. J’ai pris la femme dans mes bras, je l’ai serrée, je lui ai embrassé les joues et j’ai retenu des larmes… de reconnaissance… Des mitaines… tout cela pour des mitaines et j’ai encore un peu honte, beaucoup en fait. Quand je lui ai demandé pourquoi et que je lui ai offert la doublure de mes mitaines, elle a refusé en souriant et m’a dit qu’elle me les redonnait parce que ça venait de ma grand-mère… J’ai regardé la magnifique femme inuit qui se trouvait devant moi et encore une fois comme toutes les fois où je monte à bord de mon tas de ferraille préféré pour parcourir les rues de Montréal, mes genoux ont flanché en silence.

Mon coeur a sûrement rencontré le sien quelques part dans ma panique, mais surtout rencontré le grand respect qu’ils ont des aînés. Je crois qu’on s’est serré dans nos bras au mois 15 fois et qu’à chaque fois je disais que j’étais reconnaissante. J’ai dit Nakurmiik pour la première fois de manière spontanée et en entendant pas la traduction francophone dans ma tête. Ce n'est pas merci que je ressentais… c’était Nakurmiik !

Avant que je quitte, elle s’est dirigée vers moi pour me serrer une fois encore dans ses bras. J’ai fermé les yeux, comme pour les vrais câlins que je ne sais pas si bien faire. Puis, j’ai remercié je ne sais trop quoi de faire que de si petits prétextes deviennent de si grands moments. J’apprends un peu plus chaque jour à m’inclure socialement…



Signé Jani l’égoïste reconnaissante !

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