Je vous répondrai par la mine de mon crayon.

Il y a plusieurs façon de crier, ma préférée c'est le silence.

mardi 10 septembre 2013

Architecte de grandes ruelles


Je t’observe entrain de dessiner un plan de maison, puis je me dis qu’à une époque pas si lointaine t’avais sûrement une pas pire gueule. T’es souriant, puis visiblement rempli d’empathie pour ton chum de trottoir qui est émotif suite aux questions de mon partenaire de route de la soirée….

Puis, tu me dis avec un accent qui aurait fait craquer plus d’une fille à une autre époque aussi, que je peux te parler en français, parce que toi, architecte en sabbatique prolongée et obligée, ben tu sais parler 4 langues… Je rougis, moi qui massacre mon anglais, mais j’accepte un peu soulagée.

Pendant que je rougis comme une petite fillette, sans même que je te le demande, tu m’expliques comment tu es passé d’un bureau d’architecte à ici entrain de me parler entre une flaque de bière, des miettes de pain et une coulisse de je ne veux pas savoir quoi.

Tu me parles sans arrêt, tu me racontes tout et je suis là avec mes yeux plein d’empathie à te donner en retour. L’empathie… ça semble tout petit à côté de tout ce que tu émanes. J’aimerais inventer une autre émotion, un autre état, quelque chose de plus puissant. Parlez-moi pas de pitié, je vous jure que ça vaut rien devant un tel témoignage.

Tu t’arrêtes de temps en temps pour rire. Un rire franc et vrai qui vient trancher d’un coup sec ce que tu viens de me dire. Un rire qui me donne le goût de te serrer dans mes bras, moi qui n’est pourtant pas très câlineuse. Un rire que seul vous savez faire. Un rire de chez toi. Un rire de grand froid et de tempête de neige. Ton rire qui dans ta langue peut sûrement être décrit en plusieurs mots, plus imagés et colorés les uns que les autres. Ton rire en plusieurs facettes comme la neige, comme la pluie et le vent.

Je rêve d’une énorme tempête. Je rêve de me retrouver avec toi dans de la neige jusqu’aux genoux. Toi qui m’expliques comment faire, toi qui dessines encore des maisons dans ton coin du Québec. Je veux que tu me dises dans tes mots ce qu’est pour toi cette neige. Je veux oublier qu'en dessinant ta maison ce soir dans une ruelle, pour me faire plaisir, tu m’as dit que des jours il n'en restait pas beaucoup dans ta vie. Toi et la mort vous êtes ben chummy. Ben ben chummy. Elle te rend pas mal visite et là, ben elle te matte par la fenêtre… Ben la fenêtre… C’est une image un peu bête que je fais en considérant ta situation.

Tu t’arrêtes satisfait et me tend le dessin en souriant. Tu t’excuses disant que le stylo que tu as utilisé n’est pas un bon crayon pour faire ce genre de dessin. Je regarde ta maison à deux étages pleine de fenêtres et je me souviens d’un test de psychopop un peu louche que je faisais au cégep. Celui où on demandait aux gens de dessiner une maison. Plus tu y mettais de fenêtres, plus tu étais ouvert aux autres. Ça me fait sourire. Ce soir, cette psychopop me plait. Je te tend la main, tiens la tienne probablement un peu trop longtemps, égoïstement.